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La gestion du sommeil sur un ultra

La gestion du sommeil sur un ultra

La gestion du sommeil sur un ultra

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Un constat 

Il n’est pas rare de voir des traileurs en mode “automate”, en fin d’épreuve, se faire irrémédiablement doubler par des coureurs intrinsèquement beaucoup moins performants et physiquement beaucoup plus mal au point qu’eux mais encore capable de marcher (et non tituber) en ouvrant les deux yeux ! 

Dans les conditions de sport extrême, tout le corps est sollicité, cerveau compris, explique le professeur Dr François Duforez, médecin du sport, spécialiste du sommeil et fondateur de l’European Sleep Center qui a suivi le défi réussi de Barbara Buatois, cycliste française qui a remporté en 2010 une des épreuves sportives les plus difficiles du monde: la Race Across America.

En l’absence de préparation sérieuse, les plaintes du corps fatigué se manifestent par des déchirures musculaires ou des tendinites, mais le cerveau a lui aussi besoin de récupérer. Dans le cas contraire, on enregistre des conséquences rapides sur la performance cognitive: manque de vigilance, perte de lucidité, jusqu’à des manifestations spectaculaires comme les hallucinations.

Au delà de 36h ne pas dormir du tout : une erreur stratégique

Si j’ai pu observer chez plusieurs certains traileurs la possibilité de gérer le manque total de sommeil en dessous des 36h sans gros coût de fatigue du au manque de sommeil, ce cas de figure devient quasi inexistant au delà des 36h.

À partir de ce cap la somnolence du à la privation de sommeil arrive très très souvent avec une perte de temps considérable et une chute de la performance souvent très importante.

C’est donc à mon sens une erreur de penser qu’après 36h d’effort il reste préférable de supprimer totalement les temps de sommeil pour “griller quelques concurrents” plutôt que de s’accorder des pauses de sommeil.

Quand l’erreur de débutant arrive à haut niveau

Je me permettrais quand même d’évoquer la mésaventure de Marco Gazzola disqualifié à l’arrivée du Tor en 2011 alors qu’il franchissait en tête la banderole après s’être “égaré” sur la fin du parcours à 10 km de l’arrivée.

Extrait de son témoignage :

“Je suis parti sans aucune feuille de route, « à l’aveugle », mon unique plan était pour la première nuit de continuer au moins jusqu’à Cogne, où j’avais l’intention de dormir pendant au moins 30 minutes mais au bout d’un quart d’heure, je me suis réveillé et je suis reparti. Pour la deuxième nuit, j’ai essayé 2 fois de m’endormir, mais je n’y arrivais pas, j’ai donc continué mon avancée jusqu’au moment ou je me suis imposé 15 minutes de sommeil.”

http://www.tordesgeants.it/fr/content/marco-gazzola

Eh oui un peu trop sûr de son fait, le bonhomme, par manque de lucidité, a perdu la victoire alors même que son avance lui aurait largement permis de reprendre le bon chemin une fois l’erreur connue.

Pour gagner certes il ne faut pas jour aux marmottes sur les bases de vie mais la prudence reste de mise faute de quoi l’effondrement en fin de parcours risque de vous faire perdre des heures !

Sur le Tor 2013 Karrera qui pulvérise l’épreuve a bien failli la perdre au profit dOscar Perez avec une fraîcheur à l’arrivée étonnante en comparaison à l’état de Karrera.

Voir Oscar donner son dossard au vainqueur est le témoignage de cette immense lucidité avec un geste de fair-play et de sportivité hors du commun.

Pour Karrera on est sur un cumul des 1h 30 (à Niel) + 15 min à Oyace. 

Les avis ne sont pas unanimes sur une phase de micro sommeil la première nuit avec réveil à la montre (mais sur ces micro siestes les avis divergent).

Chez Perez la gestion du sommeil a été réalisé par des arrêts plus marqués à voir Perez finir en trombe on perçoit l’intérêt de cette 2e stratégie. Hors arrêt Perez a été beaucoup plus rapide que Karrera.

Rappelons qu’en 2012 on était à 7h pour Grégoire Millet et 4h pour Oscar Perez.

Restez lucide comme les marins ! 

On parle “d’exploit” des ultras traileurs Elite sur le sommeil mais les marins au grand large font aussi bien et plus longtemps !

Eh oui les navigateurs solitaires tiennent très souvent bien plus que 70h avec moins de 3h de sommeil en cumul.

Sur la course du Figaro (course à étapes) les parcours durent grosso modo 72h et la plupart de coureurs ne dorme pas du tout.

Gabart sur le tour du monde en solitaire et sans escales en 78 jours à passée plusieurs fois 3 nuits sans dormir plus de 5-10′ à chaque fois.

Hors tenir un rafiot sur une mer avec force 9 demande un brin de lucidité.

Apprendre a dormir 

Certains traileurs dépensent une fortune en produits énergétiques dont personne ne m’a démontré à ce jour delà plus value par rapport aux recette maison je pense que le passage par un somnologue est en revanche une démarche intéressante ?

Celui-ci va réaliser une actimétrie avec un agenda de sommeil. 

Cela dégagera les moments propices à l’endormissement avec ce que l’on appelle “les zones d’entrée” du sommeil polyphonique très profond.

Savoir décider 

En terme de sommeil le plus difficile dans une épreuve d’ultra est la prise de décision, cela s’apprend !

C’est en exploitant ses portes d’entrée dans la salle de votre sommeil que vous rentrerez très vite dans les fameuses micro siestes.

Cela s’apprend, se travaille (en période de vacances, sur les WE choc par exemples) et vous pourrez ainsi améliorez votre récupération et progressivement tel un marin “mécaniser” l’endormissement pour pouvoir décider du moment des siestes.

Cela exige de la lucidité pour rester à l’écoute de soi on ne va se forcer à dormir si tout va bien au prétexte d’être à la base de vie !

Le sommeil “Poly” des 15′ 

En m’appuyant sur les marins et certaines expériences menées sur le sujet notamment par l’équipe du docteur Eric Mullens je vous conseille de démarrer vos ultra d’emblée avec le sommeil Poly en sectionnant votre sommeil par tranche de 15′.

Le Dr Eric Mullens est reconnu comme un des meilleurs experts de la pathologie du sommeil et de la vigilance.

(Attention ce n’est pas non plus mon gourou, j’essaye toujours de croiser mes informations pour leur donner de la crédibilité)

S’entraîner à se priver de sommeil ? 

Cela me semble la pire des solutions !

Ce n’est pas sur la privation que la réflexion doit être menée mais sur les stratégies de sommeil réparatrices la nuance est de taille ! 

Se priver de sommeil sur les semaines avant la course c’est mettre en surmenage le système nerveux autonome qui va finir par débrancher avec le risque réel du surentraînement sans même s’entraîner plus que d’habitude.

De même sur la dernière semaine il serait totalement contre productif de se priver de sommeil. Il est en revanche possible de stocker du sommeil.

L’équipe du professeur Chéri D. de l’université de Stanford (Californie) a réalisé une étude sur l’effet “stockage du sommeil”.

Cela a été mis en place avec des basketteurs à qui on a imposé un minimum de 10h couchés par nuit, et cela pendant 7 semaines.

Les résultats attestent d’une amélioration des performances (vitesse de sprint, de leur précision au shoot de 9 % et réduction des temps de réaction.)

La recette miracle n’existe pas 

Il serait malhonnête de vous faire croire que cette proposition de méthodologie de préprogrammation du sommeil est infaillible pour s’éviter les “coups de mou” sur un ultra.

Voilà pourquoi je n’en fais pas une règle d’utilisation aucune donnée scientifique irréfutable ne venant à ce jour étayer cette démarche la prudence reste de mise.

Le principe de la structuration du sommeil

Classiquement on cumule cinq cycles de sommeil sur notre nuit. Chaque cycle, d’environ 1h30, se structure par paliers.

L’un des plus important pour nous autres sportifs d’ultra est celui qui consiste à se placer dans le sommeil lent profond pendant lequel on récupère le plus de la fatigue physique.

Sommeil qui est suivi par la phase du sommeil paradoxal où par les rêves on va passer sur une récupération psychique donc pas forcément indispensable sur des courses d’ultra où le stress est limité (ce qui n’est pas le cas par exemple pour les courses au large ou il faudra gérer le rafiot en pleine tempête !).

Les experts considèrent qu’il faut en moyenne trois cycles d’1h30 (environ) par tranche de 24h pour tenir le choc sur du moyen terme (une à deux semaines maxi).

Stocker le sommeil !

Sur d’affûtage avant un ultra il est conseiller de « stocker » du sommeil.

  • L’équipe du professeur  Chéri D. de l’université de Stanford (Californie) a réalisé une étude sur l’effet “stockage du sommeil”.
  • Cela a été mis en place avec   des basketteurs à qui on a imposé un minimum de 10h couchés par nuit, et cela pendant 7 semaines.
  • Les résultats attestent d’une amélioration des performances  (vitesse de sprint, de leur précision au shoot de 9 % et réduction  des  temps de réaction.)

Source de l’étude :  

Cheri D., Kenneth E, Eric J. Kezirian, William C. Dement



“The Effects of Sleep Extension on the Athletic Performance of Collegiate Basketball Players”

La sieste maîtrisée :

Très souvent on a peur de trop dormir pendant son temps de sieste, effectivement 20 minutes est un durée suffisante.

Voilà une astuce : je vous conseille le réveil de votre téléphone portable pour retirer ce stress en lien à la peur de ne pas se réveiller.

Des essais sont nécessaires avec l’utilisation du réveil (en choisissant sa sonnerie de réveil : elle ne doit pas être trop forte et surtout agréable pour vous).

Le réveil vous permettra de ne pas “angoisser” sur le risque d’une sieste trop longue, il facilitera le “lâcher-prise”.

Je déconseille fortement les prises de somnifères même les supposé light type stylnox sauf pour les hyper anxieux qui chaque année se font une semaine de nuit blanche avant leur objectif majeur !

Important

Il est indispensable de contrôler les indicateurs classiques du niveau de fatigue :

  • Les valeurs des Ruffiers ne doivent pas s’effondrer (le test sera fait tous les jours).
  • L’appétit doit rester égal à lui-même.
  • L’humeur restera acceptable (pas d’irritabilité “anormale”).

Si cette préprogrammation altère l’un ou l’autre de ces indicateurs il faut stopper !

Il est fortement conseillé de conserver les 72 dernières heures en sommeil “classique” avec des temps de sieste important pour une complète recharge en terme de récupération psychique !

Anticiper les périodes de sommeil 

Difficile sur un ultra trail (ou un ultra en ski alpinisme) de programmer comme on peut le faire sur un kayak de mer dans les mérathlons de longues distance ou sur les ultras en vélo de route.

En effet des paramètres incontournables sont à prendre en compte :

  • Il est indispensable de pendre en compte le relief.
  • Le sommeil se mettra en place si possible avant une descente technique qui va exiger une concentration de tous les instants.
  • Il faudra veiller à la qualité possible du support par conséquent anticiper sur la localisation du poste où le repos sera possible dans de bonne condition.
  • On dort beaucoup plus facilement sur un pré ou un sol “tendre” qu’en étant en vrac au bord d’un chemin entre 3 blocs de rocher !
  • Il faut donc anticiper et ne jamais se laisser surprendre !
  • Le roadbook doit être méticuleusement préparé et étudié.

On doit garder le contrôle de la gestion de sa course et ne pas se laisser dominer par le paramètre du sommeil !

On doit toujours avoir la maîtrise de la situation, c’est la volonté qui commande l’organisme en ultra et en ultra trail en particulier et non l’organisme !

Sur un ultra, la gestion mentale est essentielle au risque de “bâcher” ou laisser filer des heures de repos inutiles et surtout inefficaces !

C’est pour cela que je suis un passionné des ultras sur mon kayak ou mes skis de randos, car cette gestion mentale est une source d’excitation et de satisfaction vraiment agréable, le sentiment de ne pas subir les événements, il faut dire qu’ à mon âge côté performance intrinsèque ou défi de type “musculaire ou cardio vasculaire”, la date de naissance rend modeste !

Sources et bibliographie 

Eric Mullens

“Apprendre à dormir” (2005)

édition : Editions Josette Lyon

Cheri D., Kenneth E, Eric J. Kezirian, William C. Dement 

“The Effects of Sleep Extension on the Athletic Performance of Collegiate Basketball Players”

Damien Davenne 

“Sport de haut niveau et récupération”

UFR STAPS de Caen. Les cahiers de l’INSEP n 27.

Léger Damien et Duforez François, (2012)

“Sport et Sommeil”

édition : coll. “Sport et Santé”, Chiron, Paris, 2012.

Chennaoui (2014)

“Sleep and exercise: A reciprocal issue?”

édition : Medicine Reviews, 30 juin 2014.

Dr François Duforez

http://www.europeansleepcenter.fr/

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